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mardi, octobre 24, 2006

Bonsoir Ma Mie,

Comme tu vois je t'écris encore. Plus souvent je sais, je t'entends même le dire en riant, surtout depuis que je n'écris plus à la planète du Petit Prince comme tu dis, la planète qui dort, la planète la plus loin de ses propres aspirations. Je t'écris aussi parce qu'on tourne la décennie, c'est presque aussi maintenant que tourner le millénaire était hier, il y a 10 ans maintenant Ma Mie, on se fait déjà en 2010, on se fait déjà de drôles de soleils aussi. Ah! C'est pour ça aussi que je t'écrivais. Ne retourne plus sur mes carnets, ils sont définitivement fermés, disparus, seulement dans l'archive commerciale de GoogleMS 9.2 Human Search et au service du renseignement canadien. Heureusement que depuis la C.R.D.A.P.R.V.P. (Commission Royale sur le droit d'accès public au renseignement sur la vie privée), nous avons au moins découvert que nos écrits étaient scrupuleusement, obsessivement, compulsivement tamisés.

Je t'entends aussi me dire "Je te l'avais dit!" À ce propos, est-ce toi qui est sur la boîte numérique de mon POD pour déjà commenter cette lettre que je t'envoie, sans même attendre la fin comme d'habitude. J'en ai marre de cette nouvelle version de Thunderbird qui envoie en simultanée à mesure que je t'écris. J'ai cette douloureuse impression que tu suis chacune de mes pensées, presque entrain d'interpréter chacune de mes hésitations. Marre aussi de ces réponses vocales que je dois télécharger et me farcir, les "PowerPoint" de la belle époque qu'on nous envoyait 10 fois par jour m'apparaissent, tout à coup, presque être moins souffrants. Si on en revenait à ces carnets disparus. Depuis l'acquisition de Google par la filiale fantôme de Microsoft, depuis donc que la publicité a envahi le territoire de mes billets, je commençais à regarder la chose autrement. C'est sans compter que je comprends mieux ce que tu disais à propos de gargarisme intellectuel, à force de tous vouloir écrire, on a tous cessé d'agir. Tu avais raison, surtout dans cet extrait de ta thèse où tu disais:

" Ils ont oublié l'histoire, les carnetiers. Ils ont oublié que répéter Cité Libre des Pelletier et Trudeau, Le Jour de Lévesques ou Le Devoir de Ryan, c'était attabler des intellectuels qui ne savaient se faire rassembleurs, porteurs d'action, créateur de mouvements, des intellectuels qui oubliaient de secouer la base, de former des gens à la construction d'un rêve, à son échaffaudage, à chacune de ses pierres qui elles, méritent des individus d'aussi grande valeur pour les assembler en un mur qui résistera à l'invasion post-technologique."

Je n'y avais jamais pensé, à ce titre et celui-là seul, ne méritais-je pas de vous demander de me décoiffer de ce chapeau-melon d'intellectuel dont vous aimez me vêtir? Je me croyais de la résistance, alors que ce que j'avais en commun avec elle, c'était l'anonymat obligé. Je ne sais pas à quel moment le style est devenu plus imposant que l'opinion. Je ne me souviens plus davantage du jour où je me suis demandé d'avoir chaque levant, une opinion sur un monde qui ne demande pourtant qu'une pause collective d'idées, le temps de l'écouter un peu. Je cherche encore à quel instant j'ai rejeté cette idée si simple que maintenant que nous avions le moyen de combattre, il était temps de déclarer la guerre, puis enfin, de l'organiser. Alors Ma Mie, nous avons tous écrit. Nous avons aimé le mot collectif, tout en réfléchissant individuellement. Nous avons publié sans même consulter. Nous avons conclu sans même prendre le temps de parcourir. Des kilomètres électroniques de pixels sur le syndrôme du serveur blanc. Des liens coupés par la paresse de citer les auteurs de hauteurs, des guerres sans fronts ni même champs de batailles, que des soldats à écrans plats qui déplacent d'autres soldats en se proclamant généraux.

Je sais, "Tu aurais dû!" que tu viens d'envoyer sur mon POD, cesse de bourrer les 100G de la carte crystal, je viens de le fermer, ce sera peine perdue. "Ce soir j'ai les bleus" chante Ferland. Il fait 2010 au Québec, on est plus qu'une poignée à parler un français encore un peu traditionnel, on le parle sur des serveurs qu'un seul maître peut effacer, on imprime rien de cette langue et des idées qu'elle porte, on peut bien nous éliminer comme on veut, nous ne sommes qu'une vague, un délire intellectuel, une opinion obsédée d'être lue, avant d'être changée au gré des commentaires, ce sera selon leur nombre. As-tu seulement compté le nombre des nôtres qui se sont rendus à la presse écrite le temps d'une pub pour leurs carnets? Ils sont légions à déserter, au nom des visiteurs. Tu me l'avais dit en 2006 quand Québécor je crois, avait commencé à publier les bloggeurs sur papier.

J'avais 31 ans à mon premier carnet. Je me souviens combien je riais de cette nouveauté, moi qui avait eu mon site perso 5 ans plus tôt, mon babillard électronique 10 ans plus tôt, tout pareil je sais, la nouveauté n'était que d'être plus en vitrine, un vide idéologique à mettre plus en avant, plus préoccupé à vider un cerveau qu'à ne le remplir, ça fera bientôt 18 ans que je jase Ma Mie, pour dire aussi peu d'idées sinon une seule, qui peut très bien tenir sur une pancarte. Alors ce soir, pendant que les blogs se meurent parce que les POD ont remporté la bataille, parce que l'écriture vaut moins que le mot dit à ce que le monde paraît, je vais faire un silence, avec une pancarte pour crier, quelque part sur la rue, un mot vieux comme le monde, un mot qui est la plus grosse bombe qu'on peut bâtir, je vais écrire au vieux feutre noir sur un carton "LIBERTÉ".

Tu viens la tenir avec moi s'il-te-plaît? J'ai froid de militer des silences. Cet hiver pue l'automne. Plus personne ne réfléchit en mots dits ni même de chaleur avec moi. Je me fais presque des feux de foyer sur DVD-R à force d'avoir froid de penser. Viens s'il-te-plait, viens faire silence, fermes tout autour Ma Mie, prends un carton quelque part, les poubelles en sont encore pleines tellement on est encore con, viens Ma Mie, ce soir j'ai les bleus, si on manifestait comme autrefois, viens qu'on se fasse une toute petite révolution tranquille, pendant qu'ils effacent nos carnets, pour vrai ou juste en cessant d'y penser. J'aurai effacer le mien avant qu'ils ne le fassent, ils l'ont encore en cache, j'aurai eu la force d'essayer. Tu vois, cette pancarte, si on en a vraiment marre, on se fera froid puis un feu, on se fera surtout le droit de la brûler.

Voilà que pendant que je t'écris, Ma Mie, pendant que je cherche comment je pourrais trouver un seul moyen de renverser la vague, mon fils vient me dire que "Tu pourrais demander aux gens de faire un composteur..." Il a 7 ans, et nous Ma Mie, si on était déjà que passés.

Martin Comeau
Juste à Nous (Vous vous rappelez ?)

7 Comments:

At 7:49 a.m., Anonymous Anonyme said...

"...maintenant que nous avions le moyen de combattre, il était temps de déclarer la guerre, puis enfin, de l'organiser. Alors Ma Mie, nous avons tous écrit. Nous avons aimé le mot collectif, tout en réfléchissant individuellement. Nous avons publié sans même consulter. Nous avons conclu sans même prendre le temps de parcourir. Des kilomètres électroniques de pixels sur le syndrôme du serveur blanc. Des liens coupés par la paresse de citer les auteurs de hauteurs, des guerres sans fronts ni même champs de batailles, que des soldats à écrans plats qui déplacent d'autres soldats en se proclamant généraux."

Wow ! Quelle analyse précise et pertinente. Ça me crisse en bas de ma chaise. Bravo. Ça me fait réfléchir.

 
At 9:39 a.m., Anonymous Anonyme said...

J'avoue qu'en début de lecture, j'étais un peu désorienté, mais, plus je lisais, plus je retenais mon souffle... Je n'étais pas préparé à un tel traitement pour un sujet semblable.

Bien au-delà de la simple question des carnets et de leur avenir, tu vas jusqu'à parler d'identité d'un peuple, de démobilisation populaire par le confort qu'est l'écriture dans un carnet...

Je ne sais vraiment trop quoi dire devant une telle réflexion. Mon texte est déjà fait sur le sujet et je ne veux pas le changer avant publication. Il restera comme il a été écrit, mais si j'avais lu le tien avant, le mien n'aurait sans doute pas été le même...

Ça me fait me rendre compte jusqu'à quel point te lire me manque. Merci Martin.

 
At 9:51 a.m., Blogger André Bérard said...

Moi aussi, ça me jette en bas de ma chaise, mais pas pour les mêmes raisons que Henri. Je n'en reviens tout simplement pas d'un texte aussi ampoulé, complaisant et truffé de grandiloquence pompeuse. Et tout ça pour exprimer une idée somme toute assez simple. Ça me rappelle pourquoi je ne lisais pratiquement jamais le carnet de cet auteur.

Je suis désolé, Martin, mais il fallait que je le dise.

Sans rancune

 
At 9:56 a.m., Blogger André Bérard said...

Hiiii! Je sais que je vais me faire des ennemis! Mais ça fait longtemps que les doigts me démangent. Dans la blogosphère, il y en a pour tous les goûts. Et c'est bien ainsi.

Encore une fois, sans rancune.

 
At 10:02 a.m., Anonymous Anonyme said...

Quand c'est exprimé avec respect, quand c'est appuyé sur des arguments, et surtout quand c'est signé, je crois que tout le monde a droit à ses opinions.

Quand à moi, il ne s'agit pas de se faire des ennemis mais de s'exprimer sur le fond de notre pensée.

 
At 10:39 a.m., Blogger Guy Vandal said...

Ça me rappelle pourquoi je ne lisais pratiquement jamais le carnet de cet auteur.

Bravo André...

Je ne suis pas d'accord avec toi car j'adorais lire Martin. Mais j'ai beaucoup de respect pour quelqu'un qui ose dire ce qu'il pense sans se cacher derrière un pseudo.

 
At 11:32 a.m., Blogger André Bérard said...

Cela dit, je trouve le contenu du billet de Martin très pertinent, même s'il faut, à mon avis, fouiller à travers les mots pour y accéder. La communication, surtout dans le contexte d'un carnet, se doit d'être accessible. Lorsque j'ai envie de lire un roman, je vais en acheter un.

Vivre la liberté de penser et de dire.

Longue vie à Martin! ;-)

 

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