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mardi, octobre 24, 2006

Steph... de L'Île de Ebb et Hoedic

L’exercice prospectif n’est jamais évident surtout dans un domaine comme Internet, évoluant à toute allure. L’état des blogues dans 10 ans ? Les blogues sont morts, voyons !

À défaut de lire dans le futur, je vais m’efforcer, sans trop de prétention, de mettre en avant certaines tendances naissantes voire déjà bien établies qui pourraient devenir dominantes.

La première tendance que je vois est celle du blogue comme dévidoir, un réceptacle à bile amère pour le net-citizen frustré (et pas forcément blogueur d’ailleurs). Ce phénomène est apparu avec les blogues de personnes renommées hébergées par entreprises privées, souvent des medias, et donc largement publicisés. Pour se faire une idée, il suffit de regarder les sites Cyberpresse et Canoé au Québec, qui axent désormais une large partie de leur stratégie Internet sur le contenu supplémentaire et intéractif de blogueurs (principalement journalistes et chroniqueurs de renom). Par intéractif, comprenez là encore "commentaire", même si l’auteur du blogue n’en a cure.

Ces entreprises ont parfaitement compris le besoin des lecteurs : s’exprimer, être entendu... du moins en avoir l’impression. Il existe une portion de la population qui en a marre d’être menée en bateau par les politiciens, par leur boss, les medias, les lobbies divers et variés et qui ont la certitude d’avoir un message à faire passer. Les blogues, c’est le moyen de s’exprimer. Les commentaires, c’est la même chose, mais en version light. En donnant l’illusion à cette population qu’elle peut s’exprimer, laisser ses écrits à la postérité, discuter d’égal à égal avec une célébrité les amène à devenir captif et dans certain cas à suivre bien bravement les conseils qui sont prodigués par les bandeaux publicitaires. Par la suite, voyant que leur message est inutile, que les seules réponses qu’ils obtiennent sont des remarques désobligeantes d’autres lecteurs, ils se transforment en troll dont le venin ne fait qu’augmenter avec le temps. Ce faisant les blogues jouent un rôle de modérateur social, d’expiateur de bile et des mauvaises pensées. À moins que ça n’exagère la frustration.

Il est envisageable qu’avec la multiplication des blogues connus, ce phénomène prenne de l’ampleur. Les sites corporatifs trouveront le moyen de filtrer les indésirables, probablement en employant du cheap labour estudiantin. Alors un flot incontrolé de troll se répandra sur la blogosphère à la recherche de commentaires à saccager.

Les plus courageux et vindicatifs ouvriront leur propre blogue pour exprimer leur opinion. La communauté, la fameuse "discussion" des blogues va alors disparaître au profit d’un vacarme capharnaumesque fait de frustration contre la société et d’egos émancipés à la recherche de notoriété.

Mais ce n’est pas que ça, sinon cela ferait longtemps que j’aurais tout fermé à l’idée même de ce futur possible.

Il est évident que la blogosphère est un media d’opportunité, je dirais même d’opportunisme (dans le sens positif du terme). C’est effectivement un moyen pour se faire valoir, pour le mieux. Je pense notamment à différents blogueurs québécois qui ont ainsi la possibilité de publier dans des journaux, d’etre embauchés ou d’obtenir des contrats. Certains voient leur vie transformer d’une manière qu’ils n’auraient jamais imaginés, que ce soit par de simples rencontres ou par un changement de vie radical (que ce soit personnel ou professionnel). La question que je me pose dans une approche prospective est de savoir si nous observons actuellement une ruée vers l’or, donc vouée à se tasser ou si c’est un phénomène qui va se péréniser. Personnellement, je pencherais volontier pour la seconde proposition bien que la visibilité va décroître... du simple fait que ça va devenir normal.

Les blogues vont favoriser (favorisent déjà, je n’invente rien) les réseaux dans des domaines spécifiques. La philosophie de méritocratie demeurant, ceux qui arriveront à se faire valoir dans leur réseau, dans leur domaine, pourront progresser et jouir d’opportunités nouvelles. Ce n’est finalement que la notion de réseau remise au goût du jour, puissance 10. Il existe bien des sites de "networking" mais le blogue permet à chacun de développer clairement des idées et d’échanger, cet aspect est bien plus important que de connaître le Bon Dieu via 3 niveaux de connexion dans LinkedIn.

Le risque est de voir apparaître en grand nombre des blogueurs bien polis et reluisants sous tous les angles au point d’en être faux. Car le réseautage à tous crins est aussi l’âge du self-branding et rare sont ceux qui peuvent se vendre en étant vraiment eux-mêmes. Car pour répondre aux attentes, il ne faut pas d’hésitation visible, un winner sait, un loser hésite. Cachez ce doute ! Il faut aussi montrer qu’on est bien entouré, que tous et chacun dans notre réseau réussi, est bien poli etc. Bref, le risque à l’avenir est de voir beaucoup de blogues "sérieux" devenir des sites d’entreprise personnelle. Ceci serait une perte car je suis un partisan de l’authenticité des auteurs. Je peux lire un blog de la Banque Mondiale (et j’en ai effectivement un dans mon agrégateur) si le contenu exprime l’avis profond d’une personne. Que le contenu soir celui d’un communiqué de presse ou d’un article de Reuters et tout l’intérêt disparaît.

La réussite d’un blogue et de son auteur passe également par du trafic et des commentaires en nombre. Et rien de mieux pour générer du trafic qu’un scoop. C’est déjà le cas et il ne faudrait pas s’étonner de voir les blogueurs faire concurrence aux journalistes à potin et voir décroire d’autant ceux traitant les sujets en profondeur. Quoi de plus efficace qu’un article des 4 lignes provoquant 150 commentaires et lié par la Terre entière ? De toutes manières, personne n’a le temps de lire un article de plus de 300 mots, c’est bien connu.

Bien entendu, certains seront prêt à abandonner leur intégrité sur l’autel de la nouvelle. La question a déjà été traité, rabachée, digérée et chiée ; il n’en reste pas moins que si les blogueurs viennent à envahir massivement le domaine de l’information, il y en aura toujours une part pour servir de véhicule à une forme de propagande ou une autre. Cependant je suis assez confiant de ce coté car la variété de sources et d’avis présents dans la blogosphère devrait rapidement dissuader les plus véhéments d’écrire des conneries trop énormes.

Bien entendu, la blogoboule risque l’implosion pure et simple sous le coup des spams (les retroliens sont déjà de l’histoire ancienne malgré l’intérêt de cette méthode), de la publicité ou simplement par manque d’intérêt. Ceci dit je n’y crois pas. Mais à toutes fins utiles, les blogues seront possiblement dans 10 ans ce que sont IRC et les NewsGroup aujourd’hui à savoir des reliques dont on se demande si des gens s’en servent encore, dépassés qu’ils seront par des univers virtuels complets, par exemple.
***

Je relis cet article et je vois que malgré des tentatives desespérées d’utiliser le futur qui sied au titre, ce fut en vain. Je ne pousserai pas jusqu’à dire que nous avons déjà tout vu en matière de blogue, il y encore bien des applications à élaborer pour la politique, le journalisme, la pédagogie éducative, les entreprises bien entendu, mais tous ces développement existent déjà sous forme d’embryon, le chemin a en partie été débrouissaillé. Par ailleurs, il est impossible de traiter les blogues dans leur ensemble étant donné leur diversité. Même une catégorie donnée, comme celle des journalistes ou des entrepreneurs ne peut en aucun cas être catégorisée d’un bloc.

Enfin la question qui se pose aujourd’hui n’est pas celle se savoir si Internet va adopter les blogues, car c’est déjà fait, mais le profil d’adoption dans les années à venir et l’utilisation qui en sera faite par les nouveaux arrivants.

Stéphane
L'Île de Ebb et Hoedic

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